[Focus] Pour la petite histoire…


Thomas Sankara disait qu’«une bibliothèque, c’est dangereux. Ça trahit. D’ailleurs, je n’aime pas dire ce que je lis. Jamais je n’annote un livre ou je ne souligne des passages. Car c’est là que l’on se révèle le plus. Cela peut être un vrai carnet intime.»

Lettres Noires, c’est parler de livres, c’est partager ce que je lis, mais c’est aussi accepter de me livrer moi-même par petits bouts. Au fil des mois, au fil des publications, je mets ma pudeur de côté. A chaque livre présenté, chaque avis donné, je dévoile une facette de moi, de mon univers. Et là, vous devez vous demander « Mais où veut-elle en venir ? » Eh bien cet article, je l’ai écrit pour partager avec vous les origines de ma passion pour la lecture, et pourquoi ce que je lis est toujours souvent orienté vers l’Afrique, et son héritage à travers le monde.

(Ou pour faire simple, je vais raconter un peu ma vie, parce que je m’ennuie et que je vous aime bien beaucoup !)

Pour la petite histoire, j’ai toujours aimé lire tout ce qui me passait sous la main. Des magazines « Femme actuelle » de ma mère, aux livres/essais/journaux sociologiques et politiques de mon père, en passant par les Harlequin que ma grande sœur cachait sous son lit :), rien ne m’échappait. Comme une boulimique, je ne me rassasiais de rien, et avais faim de tout. Au primaire, début collège, mon palais livresque n’était pas encore aussi défini qu’aujourd’hui, mais j’avais déjà un goût certain pour un type de lectures : celles pour lesquelles j’en redemande, celles qui me surprennent et surtout, celles qui me font découvrir le monde depuis ma chambre. Alors très tôt, je me suis tournée vers Dan Brown, Jean-Christophe Ruffin, J.K. Rowling, Harlan Coben, Nora Roberts, et plein d’autres auteurs… occidentaux. Je les lisais, et relisais (il y en a que j’ai lu 5,6 fois, voire plus), sans jamais en avoir assez.

A quel moment ai-je donc été réellement attirée par les Lettres Noires?

Ma première « confrontation » avec un roman africain a été à 11 ans, avec Pain Sucré de Mary Lee Martin Koné. Il raconte l’histoire de la petite Amoin, qui ne rêvait que de la ville, qui rêvait trop grand pour elle, et qui a appris à ses dépens que ce que l’on désire n’est pas forcément ce qu’il nous faut. Je ne savais pas vraiment si je lisais ce livre par plaisir, ou si je le faisais mécaniquement, comme un automate, parce que c’était une lecture obligatoire du programme scolaire de français.  Cette même année, j’ai lu Maïmouna d’Abdoulaye Sadji… Maïmouna, ou l’Etoile de Dakar comme surnommée dans l’oeuvre. Une petite fille, à peine faite femme par Dame Nature, qui brilla par sa beauté dans un monde de grands, et surtout, dans un monde d’hommes. Un monde pas encore fait pour elle, et qui a fini, comme Amoin, par l’éteindre. Au final, Maïmouna n’était pas une étoile destinée à scintiller longtemps dans le ciel. Elle était de ces étoiles qui suscitent un plaisir fugace, ces étoiles qui passent trop vite dans la Vie, et qui fatalement, disparaissent. La petite fille que j’étais moi aussi à l’époque était outrée par cette Afrique décrite par deux fois déjà, à travers des personnages qui auraient pu être MOI. Au collège, je n’ai pas aimé ces deux livres, je vous le dis tout de suite. Ils me semblaient trop proches l’un de l’autre, et trop loin de ce que je cherchais dans un roman.

D’ailleurs, ai-je seulement apprécié les autres œuvres africaines qui m’ont été imposé tout au long de mon parcours scolaire? L’enfant noir (Camara Laye), Les bouts de bois de Dieu (Sembène Ousmane), Les soleils des Indépendances (Amadou Kourouma)… ? Avec du recul, je dois avouer que je les lisais, certes, mais sans grand intérêt. J’avais juste hâte de passer mon contrôle de français, et ensuite me replonger dans les lectures de MON choix qui étaient (à mes yeux de jeune lectrice) beaucoup plus intéressantes, enrichissantes, originales, drôles… et des adjectifs dans le genre, j’en ai plein d’autres encore à donner 🙂

Il n’y avait pas un véritable rejet de la littérature africaine de ma part, mais une certaine incompréhension et lassitude. Les sujets et enjeux étaient toujours les mêmes : conflits générationnels, la tradition face aux dérives de la modernité, la colonisation, les indépendances… Nos professeurs de français nous en faisaient manger à toutes les sauces possibles, au point de rendre ces lectures indigestes. Inconsciemment, je les ai placés dans le rang des lectures-corvées, et je continuais à dévorer, dans le secret de ma chambre, Harry Potter, Le parfum d’Adam, Anges & Démons, etc.

Ce n’est qu’en classe de 1ère, en lisant Le cercle des tropiques d’Alioum Fantouré – qui lui n’était pas au programme – (vous pouvez lire ma revue sur ce roman ici), que j’ai eu LA révélation. Ce n’est pas la littérature africaine qui est ennuyeuse et redondante, mais les œuvres choisies au programme ne correspondaient tout simplement pas à mes attentes! Ou peut-être que mon esprit anti-conformiste et, disons-le, rebelle indépendant, développé très jeune, m’empêchait d’apprécier un livre imposé par l’école. Bref. En prenant encore plus de recul (la remise en question, c’est important les amis), je dois aussi avouer que je n’avais pas, par le passé, la maturité nécessaire pour apprécier certains livres à leur juste valeur.

Le Cercle des tropiques m’a rappelé en bien des points mon pays le Gabon, les pays qui nous sont frontaliers, et bien d’autres encore. Ce livre m’a fait comprendre que si la majorité des romans africains que j’avais lus jusqu’alors me semblaient répétitifs, et ne pas se défaire du spectre de la colonisation, c’est bien parce qu’il s’agit de NOS réalités. Et nos réalités, elles n’ont (malheureusement) pas changées depuis les 60 dernières années. Les défis d’hier, restent ceux d’aujourd’hui, auxquels on a rajouté plusieurs autres problématiques (l’environnement, la condition de la femme, l’immigration…). En gros, nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge, et les auteurs, pour la plupart, se font les griots intemporels de notre société. Ce n’est que lorsque j’ai compris le rôle primordial de la littérature dans notre société et la compréhension que nous pouvons avoir de celle-ci, que je me suis réconciliée avec les Lettres Noires. Ou devrais-je dire, que j’ai appris à les aimer. Je les ai re-découvertes et affectionnées au-delà de ce que j’aurais pu imaginer.

Mon horizon s’est également élargi : j’ai découvert les livres d’épouvante, les bandes dessinées, les romances, à l’Africaine ! Une multitude de trésors, peu explorés et assez méconnus jusqu’à présent étaient désormais à ma portée. Neuf ans après ce tournant décisif, je ne lis pratiquement plus que des auteurs africains et afro-descendants.

Ces livres sont les magnifiques témoignages des générations qui nous ont précédés et le legs des auteurs d’aujourd’hui aux générations futures. Ces livres me font voyager à travers les époques, les continents, les cultures, et me font même voyager à travers mon propre pays, le Gabon, que je crois souvent bien connaître, mais Honorine Ngou, Okoumba-Nkoghe, Justine Mintsa, me prouvent toujours que je n’en saurai jamais assez.

En lisant un livre africain ou afro-descendant, je ne crains plus de retrouver les « mêmes » problématiques. Je ne crains plus de voir des personnages sous le joug d’un mari, d’une marâtre, d’un colon, d’un père, d’un charlatan etc… Parce que ces scénarii-là sont toujours d’actualité, et sont partout autour de nous. Ces romans que je trouvais avant redondants, peu flatteurs, peu originaux, je les vois aujourd’hui tels qu’ils sont VRAIMENT.

Pour le plaisir, et pour finir, je vous laisse ci-dessous les 3 livres qui m’ont réconciliée avec les Lettres Noires. Ceux qui m’ont fait succomber. Qui sait, peut-être vous inspireront-ils, à votre tour ?

1 – Le cercle des Tropiques – Alioum Fantouré (Guinée)

Vous retrouverez mon avis sur ce livre ici

 

 

2 – Gouverneurs de la rosée – Jacques Roumain (Haïti)

Ce qui m’a plu dans ce livre ? L’auteur qui raconte la misère à Ayiti, petite Ayiti, sur un fond de romance, et avec une bonne dose de créole, et d’expressions atypiques. Je n’en dis pas plus parce qu’un article dédié à ce grand classique arrivera (très) bientôt.

 

3 – Allah n’est pas obligé – Amadou Kourouma (Côte d’Ivoire)

« Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ses choses ici-bas ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est un adage qui a valu ce titre au roman. Et parce qu’Allah n’est pas obligé d’être juste… eh bien le trop jeune Birahima ne voit pas de mal, au final, à être enrôlé comme enfant-soldat dans la guerre du Libéria. Mais chuuut. Un article sera bientôt sur le blog.

Et vous les amis, avez-vous toujours lu des auteurs afro ? Si oui, quelles œuvres préférez-vous ?

Merci d’être là, de me suivre, de me lire. One love!

 

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16 Commentaires

Ajoutez les vôtres
  1. 1
    mangamaxblog

    Je n’ai pas lu les deux autres, mais c’est également le cercle des tropiques qui m’a éveillée.J’avais l’impression de fouler ces sols décrits par monsieur Fantouré, de mener ces combats, de vivre cette vie. Oui, c’était la vie que nous menions.
    Ensuite je me suis tournée vers Une vie de boy de Ferdinand Oyono: un vrai délice.
    Ville cruelle du grand Eza Boto, et bien d’autres. Je (re)découvrais mes classiques. Ceux-là que j’avais balayé d’un coup de main.
    J’avais 16 ans, j’étais en seconde, et j’ai découvert le monde.

    Merci pour cet article.

    • 2
      Izuwa

      Que de références dans ce commentaire. Que de pointures. Eza Boto, et sa magnifique ville cruelle… Merci pour ce retour. C’est toujours un plaisir de voir les genres se mélanger: manga et littérature africaine… qui a dit qu’on ne pouvait pas aimer les deux? Ahah.

  2. 3
    Olivier ONA

    Mais quel voyage! Je me suis réconcilié aux livres en te lisant je l’avoue et depuis c’est un livre toutes les six semaines. C’est un polar mais UN polar gabonais que j’arrête pas de devorer : le festin de l’aube de Janis Otsiemi. Bravo et surtout MERCI

    • 4
      Izuwa

      Janis Otsiemi est une valeur sûre au Gabon et en Afrique. Enjoy cette réconciliation Olivier!! Et surtout… MERCI à toi 🙂

  3. 5
    Malvyna Leslie Nyanze

    Je me suis reconnue dans tes écrits. J’étais aussi une férue de romans au lycée, je passais ma vie à la bibliothèque du lycée et du ccf. Les romans policiers c’est la vie! Et puis après le bac, y a eu comme une rupture et j’ai arrêté.
    Comme lettres noires j’avais aimé fam, 3 prétendants un mari et le monde s’effondre. Je sens que ce blog va me réconcilier avec la lecture! ?

    • 6
      Izuwa

      Hello Malvyna, contente de te lire. Les romans policiers sont super. Et il y a de plus en plus de polars écrits par des africains. N’hésite pas à me contacter si tu veux des recommandations sur les polars. Merci de me lire, ma belle <3

  4. 7
    Boukal

    18 ans !!!je pensais ne plus me réconcilier avec les livres
    L’arrivée de ce bb, les contraintes ,une autre vie quoi ? Pas celle , où les pages de l’auteur n’étaient pas assez parceque il pouvait y avoir une suite … LA VRAIE VIE
    Ces orientations sont les bienvenues pour un nouveau départ . Merci Izuwa

  5. 9
    silveragondjo28

    j’ai littéralement voyagé en te lisant . Un voyage à travers les lignes de cet articles magnifique , mais aussi un voyage dans mes propres souvenirs .

    Je me souviens encore du premier livre que j’ai eu sous la main . Offert par ma mère alors que je vivais ma 8e année d’existence : la nuit des pantins , collection chair de poule de RL STINE ; J’ai dévoré ce bouquin à toutes les sauces . Puis le collège et ses multiples romans imposé . De la 6e en 4 e , seul l’enfant et la rivière de Henri Bosco avait su me tenir en éveil et étancher ma soif de lecture ..; c’était un roman comme je les aimais … mais que d’ennuie devant le mandat , Camara laye , l’enfant noire (qui pourtant avait été mon surnom au collège) , Maïmouna ou encore le Cid . je ne trouvai jamais la force de terminer ces ouvrages , dont je m’arrangeais à connaitre les grandes lignes pour affronter mes contrôles de lecture .

    Paradoxalement , j’étais abonné au CDI .Et chaque semaine , j’empruntais un nouveau livre . Les bibliothèques vertes , rouges, gallimar et folio junior me régalaient amplement . Et ma rencontre avec Harry potter n’était que le clou du spectacle ….

    Puis en classe de 3e je suis tombé sur les frasques d’Ebinto . un grand classique de Amadou Kone . Une véritable révélation . une salve d’émotion dans ce livre dramatique , qui raconte les tourment d’Ebinto , ce jeune en classe de 3e au début de l’histoire , et auquel on pouvait s’identifier … la même année , j’ai enchainé avec sous l’orage de Seydou Badian … l’année d’après , le cercle des tropiques de de Alioum Fantouré , Le monde s’effondre de Chinua Achebe , Les bouts de bois de Dieu de Sembene Ousmane ( l’un des meilleurs livre qu’il m’ait été donné de lire ) …

    Sans que je ne m’en rende compte , j’avais embrassé les lettres noires ….

    merci encore pour ce bel article et félicitation pour ton blog .

    L’Okambi en Herbe

    • 10
      Izuwa

      Wow, Asdo, quel retour. Merci beaucoup <3

      Nous nous retrouvons en tellement de points, finalement. Je n'ai pas du tout aimé "Le mandat", et "L'enfant Noir" m'a laissé de marbre (ni aimé ni détesté). Et que Les frasques d'Ebinto t'aient fait succomber: je comprends totalement. Jusqu'à présent, penser à la fin tragique de Monique me rend "toute chose" lol. Un vrai classique.

  6. 11
    CEO

    Dans mon cas aussi, le plaisir est né non pas en lisant des ouvrages imposés dans le programme scolaire mais en fouillant dans la vieille cantine de mon père pour y dénicher des livres afin de satisfaire ma curiosité.
    Je reste marqué par les délices décrit dans Le monde s’effondre de Chinua ACHEBE et Les soleils des Indépendances d’Amadou Kourouma.

    Merci pour cet article.

  7. 13
    Birgit

    Au lieu de préparer mes oraux, je dévore tout ce que tu as écrit sur ton blog jusqu’à la “petite histoire”.
    Bientôt j’aurai l’esprit libre pour me plonger dans ton univers littéraire, j’ai hâte de partager ta passion et j’adore ta manière d’écrire, tes pensées, ton engagement. Bisous

  8. 15
    Dhann

    A lire tes écrits on ressent très vite la passion démésurée que tu as pour la littérature africaine.Tu m’as carrément ramené dans mes années Lycées où on lisait juste pour les contrôles mais parfois on sortait de là satisfait du plaisir que nous avais procuré cette lecture.Mais je détestais toujours le fait que ces récits avaient très souvent des fins pathétiques ou dramatiques.on a par exemple Maïmouna,Les Frasques d’Ebinto…..ou encore la Mouche et La Glue, le derniers voyage du Roi,pour ne citer que ceux là. Parcontre lorsqu’on lit FAM ou Les Matitis ,on se rend très vite compte de l’impact que la lecture peut avoir sur l’éveil des consciences et donc la mission des écrivains dans la société.

  9. 16
    MBANA MOUSSAVOU Hermine Jessica

    C’est toujours un plaisir de réaliser qu’on n’est pas seule à voyager à travers le livre. Quelle joie immensément rencontrée en parcourant ces lignes!

    Pour des raisons diverses J’ai dû abandonné la lecture quotidienne pour me consacrer à l’écriture quand bien même je réalise que l’un n’existe pas sans l’autre car en tant que lecteur on doit donner son point de vue(souvent).
    De l’enfant noir, Trois prétendants un mari, les matitis,le cercle des tropiques… à tout et n’importe quoi, je lisais juste parcequ’il le fallait. Personnellement Je garde toujours en poche *les Frasques d’Ebinto,c’est le premier livre qui a suscité une émotion particulière en moi,surtout quand j’ai réalisé que l’auteur l’avait écrit alors qu’il n’avait que 18ans.
    J’ai lu pain sucré par curiosité car M. Houlekou en parlait parfois et je me pressais de decouvrir avec larme certaines réalités de l’Afrique noire.
    *Le respect des morts et *De la chaire au trône(Pièces de théâtre) d’Amazon Kone encore qui mettent en relief les générations qui se heurtent et le denouement termine dans la tragédie. Sous l’orage de Seydou Badian a su me captiver avec le personnage de Kany qui était en quelque sorte considérée comme l’orgueil de sa famille parcequ’elle est allée à l’école. Avec “Au bout du silence” de Laurent Owondo que je trouvais assez complexe,je me contentais de découvrir les mots. Siana de Maurice Okoumba-Nkoghé qui dévoile l’haletante nudité de la misère. Sidonie de Magalie Mbazoo Kassa, ah…ce roman avait suscité ma curiosité au point de demander à certains hommes mariés ou en couple ce qui les poussaient à tromper leurs femmes alors qu’il n’avaient rien à leurs reprocher? Du même auteur J’ai lu Fam et je me souviens de mon exposé en classe de 1ère qui laissait la classe stupéfaite après avoir pendant quelques minutes captivé mon auditoire. Avec Malédiction de Sylvie Ntsame où les coutumes poursuivent le modernisme j’ai pu me régaler. La nuit sera longue d’Edna. Ma mère se cachait pour pleurer de Péter Stephen A. Pourquoi moi? de Amzat Abdel Hakim aussi qui montre comment le mépris de certains hommes à l’égard des autres peut les conduire à leur perte. Bref.
    En te lisant ,je réalise combien la lecture est passionnante, et je me trouve même limitée. Et très sincèrement je te dis merci car je souhaite en lire davantage par le moteur de ce blog.
    Akewa…Diboti!!! Hjm@NDh

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