[Gabon] Rêve mortel – Bénicien BOUSCHEDY


Paru aux éditions La Doxa en janvier 2017, Rêve mortel est un long poème en vers libres de Bénicien BOUSCHEDY. Le deuxième du genre de l’auteur, après Silences de la contestation paru en 2016.

On y retrouve un Bénicien BOUSCHEDY toujours autant révolté, consterné, et décidé à écrire ses Vérités. Comme le disait un autre poète de la contestation, Sony Labou Tansi, les poètes « pissent sur les vérités » qu’on nous assène. Ils crachent dessus, les refusent, les dénoncent… et crient tout ce qu’ils pensent de ce monde malade.

Rêve mortel c’est Malinga*, c’est le Gabon, c’est l’Afrique. C’est tout ce qui en nous, autour de nous, nous interpelle.

« Là-bas, c’est la forêt des abeilles. Des lianes sauvages. Des éperviers. C’est le repère du bois pour les grands feux. C’est le cimetière des pasteurs égarés dans le creuset de la religiosité. C’est le foyer des insectes pondeurs. Du troupeau de chauve-souris et le fourneau des nigauds. N’y vas pas ! Là-bas le soleil élargit la misère. »

Ce poème est le rêve d’un homme qui puise son inspiration dans les tréfonds de sa culture, de sa ville natale, et dans le désespoir de son peuple. Il rêve d’un pays sans clivages ethniques, sans dictature, sans restriction de la pensée. Un pays où rêver, comme il le fait serait permis. Des personnes, emprisonnées, disparues, mortes pour leurs rêves, il y en a eu beaucoup. Il y en a eu beaucoup trop, dans ce petit pays qu’est le Gabon.

Joseph Rendjambé.

Pierre-Louis Agondjo Okawé

Ndouna Depenaud.

Martine Oulabou.

Germain Mba.

Doukakas Nziengui.

Stempy Love Obame

Et tous ceux qui sont tombés, en 1964, en 1990, en 2009, en 2016, dans les geôles et sous les balles d’une police-voyou, qui lorsqu’elle ne nous rackette pas au quotidien lors de contrôles routiers de pacotille, nous rosse, gaze et tue au lendemain de chaque simulacre d’élection.

Ce rêve, que Bénicien Bouschédy nourrit dans le silence de sa contestation, il nous le livre dans un réquisitoire des plus retentissants. Et parce que je sais qu’il est de ceux qui comprennent toutes les nuances du silence, de ceux qui comprennent tous les silences, cet appel à l’espoir, à l’action, n’ est que plus parlant.

« A mes sœurs, genèses de la vie et souvent trônes de malheurs, dis leur que la dignité n’a pas de prix. Leur charme est un jeu de fleurs que le temps finit par rendre insipide. La véritable beauté est intellectuelle. »

L’homme de Malinga fait courir loin, très loin, ses idées, ses idéaux, pour un Gabon meilleur. Pour une Afrique meilleure.

« Inspirez-vous des idéaux et non de l’homme. Il sera molesté et tué. Pas ses projets. Les idées ne saignent pas. Elles ne ressentent ni douleurs ni plaisir. Là où l’homme échoue, ses convictions peuvent courir et changer le monde. »

J’ai voulu partager avec vous cet extrait car il résume bien une des raisons de l’échec des (tentatives de ?) révoltes gabonaises. Voire africaines. Nous (oui, j’ai la sincérité de m’inclure dans ce « nous ») sommes trop souvent obnubilés par l’homme, le guide, le gourou, le capitaine, plutôt que par les idées qu’il défend et essaye de faire germer en nous. Le culte de la personnalité est un piège socio-politique bien trop entretenu en terre Africaine. On identifie le combat à l’homme, et lorsque ce dernier vient à partir, comme Rendjambé, Agondjo, Mamboundou pour le Gabon, mais aussi Sankara, Lumumba, Biko, Matthai, Kenyatta… meurent avec eux leur héritage, et la détermination des peuples à arracher la Liberté. Liberté de vote, de réunion, de manifestation, d’expression, d’éducation, d’émancipation.

On admire le parcours de ces hommes et femmes, on écoute, lit et regarde leurs discours, les yeux plein d’étoiles, en oubliant qu’au final, ils ne sont que les instruments d’une cause bien plus grande que leur personne. En oubliant qu’en chacun de nous réside la force morale nécessaire à l’action, aussi insignifiante soit elle pour notre communauté.

A l’issue des élections présidentielles gabonaises de 2016 par exemple, le peuple avait choisi Jean PING pour succéder à Ali Bongo, alors président sortant. Mais par un taux de participation curieusement élevé dans la province du Haut-Ogooué (99,9%)**, et par un tour de passe-passe constitutionnel, comme seules nos républiques bananières en ont le secret, Ali Bongo est malgré tout resté au pouvoir. Qu’importent l’indignation générale, et l’instabilité sociale. « Qu’ils aillent se faire voir ces gueux. Qui sont-ils pour exiger démocratie ? Savent-ils ce que cela signifie ? »

Depuis l’échec de l’opposition gabonaise à faire respecter sa victoire, les gabonais sont retournés à leur train-train quotidien. Jean Ping, aux oubliettes. Ses discours ne paieront pas les factures. Pour un septennat de plus, pour un septennat de trop, les gabonais feront face à l’austérité, aux fermetures d’entreprises sans compensations financières, aux injustices sociales, aux délestages, à l’enrichissement illicite d’une classe politique véreuse et l’appauvrissement extrême de la classe moyenne (existe-t-il seulement encore au Gabon une classe moyenne ?). Nous attendons sagement le Guide Providentiel qui viendra d’un coup de baguette magique remettre les choses en ordre.

Pendant ce temps… Grève des enseignants, étudiants, pétroliers, greffiers, magistrats… Grèves d’un système en fin de vie. A quand le réveil collectif de ce rêve mortel ?

* Malinga : Petite ville de la province de la Ngounié, au Gabon

** Deux articles qui sont revenus sur les dernières élections présidentielles gabonaises (2016), pour en savoir plus:

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/09/13/gabon-enieme-farce-electorale_4996935_3212.html

http://www.europe1.fr/international/gabon-une-election-presidentielle-sous-le-signe-de-la-contestation-violente-2834944

 

Rêve Mortel

Bénicien Bouschédy

Editions La Doxa

110 pages

Où vous le procurer :

https://www.amazon.fr/R%C3%8AVE-MORTEL-BENICIEN-BOUSCHEDY/dp/2376380359/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1534513581&sr=8-3&keywords=bousch%C3%A9dy

Du même auteur :

Rêves nomades, Les Editions Différance Pérenne, 2015

Silences de la contestation, La Doxa, 2016

Fais-moi frémir… (Collectif d’écrivains), 2018