[Sénégal] De purs hommes – Mohamed Mbougar Sarr


Un homme, un soupçon, un murmure, une rumeur qui court, des regards appuyés et d’autres qui se détournent… et ça y est. Cela suffit , au Sénégal, à te condamner à la pire peine qui soit : être considéré goor jigéen*. Dans ce mot, que je n’arrive toujours pas à prononcer correctement, sont enfuies des décennies de haine viscérale d’une société islamique, paternaliste, castratrice, envers l’homosexualité. Ce roman, De purs hommes, parle d’hommes, des vrais, des mâles alpha, sûrs de leur masculinité, à en devenir toxiques. Il parle aussi et surtout de goor jigéen. Être un homme, aimant les hommes, ce n’est pas seulement une orientation sexuelle. C’est aussi un drame. Le péché suprême. 

« Tu supposes que c’était un goor-jigéen? Tu supposes? Que veux-tu qu’il ait été d’autre? Ce sont les seuls dans ce pays à qui on refuse une tombe. Les seuls à qui on refuse à la fois la mort et la vie. Et toi, tu ne sais pas quoi en penser? »

De purs hommes débute avec une vidéo virale, celle d’un jeune homme, supposément goor jigéen, dont la tombe est éventrée, vandalisée, profanée par une foule de personnes enragées, qui cherchent à le déterrer. Un goor jigéen ne doit pas être enterré dans un cimetière islamique. Il n’a rien à faire dans un cimetière pour gens « normaux ». Il le souillerait de ses péchés, même mort, pensent-ils. Alors ils sortirent ce corps, cet homme, de sa tombe.

La vidéo de cette expédition macabre et punitive a fait le tour des réseaux sociaux, jusqu’à Ndéné Guèye, professeur de Lettres à l’université de Dakar, personnage clé et narrateur du roman. Cette vidéo ramènera Ndéné à lui-même, touchera sa sensibilité oubliée, sa sensibilité enfouie d’homme. Cette vidéo, et toutes les questions sur la condition homosexuelle en Afrique qu’elle suscite, fera l’effet d’un uppercut à Ndéné Guèye, dont la vie sera à jamais transformée.

« Tout simplement, je savais que cette question mettrait mon père et Adja Mbène mal à l’aise. Elle les forcerait à sortir du champ des généralités banales et à s’engager pleinement dans une vraie réflexion, inconfortable, douloureuse, précise. Elle les obligerait à passer d’une opinion globale à un engagement personnel qui ébranlerait leur tranquillité. »

Cette question qui ébranlerait la tranquillité, et qui obligerait à passer d’une opinion globale à un engagement personnel, est très simple : «  Si vous aviez eu un enfant goor jigéen, qu’auriez vous fait ? »

Lui auriez vous appris à se cacher, à mentir, pour se protéger des foudres de la société ? Auriez vous fait partie des profanes prêts à déterrer son cercueil ? Auriez vous fait partie de la foule de lyncheurs ? Ou l’auriez vous tout simplement soutenu et aimé plus fort ?

A quel moment cessons nous d’aimer notre prochain ? A quel moment souhaitons nous sa mort, son emprisonnement, du fait de sa sexualité ? Au final, dans ce magnifique roman de Mbougar Sarr, il est question d’humanité et non d’homosexualité. Avant d’être Imam, professeur, avocat, prostituée, etc… sommes nous tout simplement humains? 

La religion et la société nous assomment sous le poids de leurs principes lois… et tout cela ne nous rend que plus impitoyables envers nos semblables.

Qu’on les lynche, les lapide, les brûle, ces sodomites. Il n’y a pas de place pour eux, ni ici, ni au paradis ! scandent à l’unisson les foules haineuses face à leurs frères, voisins, amis, inconnus, ayant osés tourner un peu trop à gauche. « Il n’y a pas de beau pays pour les pauvres » chante Pierre-Claver Akendengué**. Et bien souvent, je me dis aussi qu’il n’y a pas de beau pays pour les homosexuels.

Ce roman est une leçon de tolérance pour chacun d’entre nous. Il vous ramènera, vous aussi, à votre Moi profond. Il vous retournera l’estomac, vous dérangera sans doute, mais vous ne pourrez en ressortir indemnes. Mohamed Mbougar Sarr écrit avec franchise et insolence. Dans ce livre, il me fait parfois l’effet d’un adolescent frondeur, dans sa phase de rébellion contre la société, qui utilise des « gros mots » juste pour choquer son entourage. Certains passages sont inutilement provocateurs  et m’ont parfois fait rouler des yeux. Littéralement.

« Toi, musulman de culture, fils d’un homme pieux qui a failli être Imam, toi qui, enfant, as suivi l’école coranique, toi qu’on a élevé, éduqué, instruit dans la vertu de ce pays, tu serais devenu une tarlouze? T’as peur de t’imaginer à quatre pattes, rudement enculé par un colosse à la queue nerveuse et rainurée? »

L’auteur dans ce livre explore la sexualité, la bisexualité, l’homosexualité, la transidentité, d’une façon que je n’avais encore jamais lu. Certaines scènes, très charnelles, feront rougir certain(e)s j’en suis sûre. En attendant… procurez vous ce livre. N’hésitez pas. Vraiment. Il est unique en son genre et bien écrit (même si, je le répète, l’auteur en fait parfois TROP).

* goor jigéen: Homosexuel en wolof, langue du Sénégal

** Pierre-Claver AKENDENGUE: chanteur gabonais (le meilleur, selon moi 🙂 )

De purs hommes – Mohamed Mbougar Sarr

Editions Philippe Rey

209 pages

2018

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