Volcaniques: Une anthologie du plaisir – Sous la direction de Léonora Miano


Un adage populaire au Gabon soutient que pour gagner le cœur d’un homme, il faudrait passer par “le ventre et le bas ventre”. En d’autres termes, d’après la société ultra-patriarcale dans laquelle j’évolue, ce serait d’abord  par la cuisine et ses aptitudes au lit qu’une femme ferait la différence auprès de “son homme”. Pouah! Mon ulcère à l’estomac se développe alors que j’écris ces premières lignes. 

Non seulement à travers cette croyance urbaine on admet la soumission de la femme comme norme sociétale, mais en plus on hisse l’homme au rang de trophée, pour lequel il faudrait, par une conduite exemplaire (de bons plats et de bons coups de reins), se “démarquer du lot de candidates intéressées”. Pouah! Il faut absolument nourrir son ventre et son bas ventre. Qu’importe le nôtre. Le sien prime. Le but est de “gagner et conserver son cœur”. Être “appéciable” et appréciée de lui…

Alors on limite la femme au périmètre étroit de la cuisine et du lit. Pourtant dans ce lit, maudit lit, se jouent parfois les pires scénarios. L’homme, comme pour entendre un mensonge auquel il adorera croire, pose toujours THE question. Cette question que l’on pose plus pour soi-même que pour l’autre. “Chérie, t’as joui?”

Et c’est en la réponse, trop souvent positive, que se cache la raison pour laquelle j’ai aimé ce livre.

Le déni de jouissance, l’absence de jouissance, la simulation de jouissance sont des (en)jeux frustrants vieux comme le monde. Pour flatter les égos, et pour se rassurer de sa normalité face à d’autres femmes qui, elles, jouissent, on fait “comme si…”. Comme si c’est trop bien. Comme si on adore ça. Comme si on a joui. Avec lui. Avec eux. “Oui chéri, j’ai joui.”

En récompense de la brûlure douce et persistante entre les cuisses, elle en avait tiré une fierté mièvre. Elle confessait qu’un sentiment de salissure demeurait tapi en dedans d’elle, étouffé, étouffant. Mais elle avait recommencé, comme s’il n’y avait pas d’autre chemin que celui-là […] Comme si son plaisir à elle n’était qu’un supplément, une option, un pourboire dérisoire que consentait à lui laisser son copain. Et bien brave, elle continuait à lui abandonner son corps […]

Gisèle Pineau

Volcaniques: une anthologie du plaisir explore les profondeurs de la sexualité féminine, touche du doigt ses retranchements et par sa puissance érotique fait pulser un peu plus fort le sang dans nos veines. A le genèse de ce projet littéraire, une femme, que l’on ne présente plus, auteure camerounaise aux 19 publications, Léonora Miano. De son initiative est né ce livre, auquel ont pris part 11 autres écrivaines des Afriques et figures du monde noir, réunies pour briser les tabous, libérer la parole, rappeler que le plaisir peut être féminin et assumé.

Hemley Boum, Nafissatou Dia Diouf, Marie Dô, Nathalie Etoe, Gilda Gonfier, Axelle Jah Njié, Fabienne Kanor, Gaël Octavia, Gisèle Pineau, Silex, Elizabeth Tchoungui et Léonora Miano ont réussi le pari. Embraser les lecteurs. Elles nous font voyager de Yaoundé à Roseau en passant par la Martinique, dans la chambre à coucher (et en dehors) de femmes de tout âge. La pudibonderie, avec elles, il faut la jeter aux oubliettes.

La nioxe* est partout, insidieuse. Plus qu’une marchandise, une monnaie d’échange. Ta chatte contre un diplôme. Une pipe contre le marché pour goudronner les rues secondaires du quartier Nkoabang. Sodomie contre investiture pour la députation. Nioxe d’abord, tu détourneras ensuite. La nioxe est plus qu’un défouloir, c’est un réflexe de survie.

Elizabeth Tchoungui

Je me suis délectée du camfranglais habile d’Elizabeth Tchoungui, langue bâtarde issue du désordre post-colonial camerounais, mais qui mêlé à une plume adroite donne un texte mélodieux. J’ai aimé la poésie de Silex dans “Dedans et dehors”, sublimée par un je-ne-sais-quoi de tortueux et douloureux qui vous prend à la gorge.

Je ne veux pas qu’elle s’introduise

Mes seins trop durs à force d’être frottés

Mes seins trop durs à force d’être serrés… serrés

Ses réflexes laissent courir ses mains

Sous la bande rugueuse qui me contraint… contraint

Silex

En fait, c’est un bien joli livre. Joli par tout ce qu’il recèle d’émouvant, de poignant et de transgressif. J’ai aimé ce livre. J’ai aimé chaque once de plaisir contenu en lui, en chacune de ses lignes. Les recueils de nouvelles, surtout naissant de collaboration comme celle-ci m’ont toujours fait peur. Comment harmoniser 12 plumes différentes sous un seul thème, aussi large,mystérieux, cyclique et incontrôlable que le plaisir féminin?

Léonora Miano et ses 11 co-auteures répondent magnifiquement bien à cette interrogation, qui n’a plus lieu d’être.

Alors, vous laisserez-vous tentés par cette lecture? N’hésitez pas à me dire en commentaire ce que vous en pensez 🙂

*Nioxe: Appellation du SEXE en camfranglais. Le camfranglais est le langage argotique propre au peuple Camerounais. C’est un mélange de langues vernaculaires (béti, bassa, etc.), de français  et d’anglais.

Où se le procurer?

https://www.amazon.fr/Volcaniques-Une-anthologie-du-plaisir/dp/2897122722