[Cameroun] Les Impatientes – Djaïli Amadou Amal

Entre amours contrariées et destins gâchés, Djaïli Amadou Amal décrit dans Les Impatientes un Cameroun méconnu, où les unions précoces et forcées, l'excision, les violences conjugales et la déscolarisation des jeunes filles sont des fléaux banalisés au nom de la culture et de l'honneur de la famille. Ainsi vivent Ramla, Safira et Hindou, funestement liées par des hommes qui décident et soumettent.


Les impatientes - Lettres Noires

Je n’étais pas censée emporter de livres dans ma valise de voyage de noces. Mais votre go est têtue. Au dernier moment j’ai embarqué le dernier livre non lu de ma bibliothèque: Les Impatientes, ou Munyal de son titre original, de Djaïli Amadou Amal.

Chez les Peuls, “Munyal”, bien plus qu’une valeur ou un principe est d’abord une injonction qui signifie “Supporte.” “Prends patience et endure!” Son époux choisi par sa famille la bat, l’insulte, la néglige, l’ignore? Munyal. Son amoureux de toujours, mari et père de ses enfants prévoit de prendre une seconde épouse? Munyal. Tout juste sortie de la puberté qu’on la destine au mariage? Munyal. Son seul avenir est d’élever une marmaille destinée au même sort qu’elle, entre devoirs et oubli de soi? Munyal.

Munyal est la cause de tout, et la réponse de chacun. Dans le roman Les Impatientes, Ramla, Safira et Hindou doivent tout supporter et se montrer patientes dans l’épreuve.

« Il est difficile le chemin de vie des femmes, ma fille. Ils sont brefs, les moments d’insouciance. Nous n’avons que très peu de joies. Nous ne trouvons le bonheur que là où nous le cultivons. À toi de trouver une solution pour rendre ta vie supportable. Mieux encore, pour rendre ta vie acceptable. »

p.140, Les Impatientes

Ramla, aussi brillante que belle, approche dangereusement de ses 18 ans sans être fiancée. C’est un miracle qu’elle ait pu atteindre la classe de terminale sans être mariée de force, alors qu’elle a vu ses amies, au fil des années, vivre prématurément leur dernier jour d’instruction laïque et rejoindre leur foyer conjugal. Ramla a été quelque peu épargnée, et a même un plan d’avenir tout tracé: après l’obtention de son baccalauréat, elle ira étudier en Tunisie, avec son amoureux secret.

Cependant, dans le Nord Cameroun musulman et ancré dans les cultures ancestrales, aucun amour de jeunesse ne saurait survivre à la contrariété d’un père décidé à « bien » marier sa fille. Le père de Ramla fait fi de la volonté du jeune homme à épouser sa fille et l’aider à poursuivre des études supérieures. Il a promis la main de Ramla à l’homme le plus fortuné de la ville, un homme à qui l’on ne refuse rien.

Entre amours contrariées et destins gâchés, Djaïli Amadou Amal décrit un Cameroun méconnu, où les unions précoces et forcées, l’excision, les violences conjugales et la déscolarisation des jeunes filles sont des fléaux banalisés au nom de la culture et de l’honneur de la famille. Ainsi vivent Ramla, Safira et Hindou, funestement liées par des hommes qui décident et soumettent.

Djaïli Amadou Amal, autrice peule du Nord du Cameroun s’est inspirée pour ce roman de réalités proches, de sa propre histoire, de personnes connues ou qu’elle aurait pu connaître, de fait rapportés et entendus toute son enfance durant, et des récits des femmes qu’elle aide et soutient au quotidien à travers son engagement associatif.  Elle le dit au micro de C à vous: c’est en voyant ses deux premières filles grandir et se rapprocher de la puberté qu’elle a eu le courage de fuir sa condition. Elle ne voulait pas pour ses filles le même destin que celui qu’elle a connu. Elle voulait qu’elles aient le choix d’aimer ou pas, d’étudier ou pas, mais surtout le choix de vivre comme elles l’entendraient.

Djaïli Amadou Amal sur le plateau de C à vous, pour la promotion de son dernier roman, Coeur du Sahel

J’ai apprécié que Djaïli Amadou Amal soit si différente des personnages féminins adultes qu’elle écrit. Les mamans et les tantes dans Les Impatientes sont des personnages à part entière. Gardiennes du statu-quo et grandes protectrices de traditions patriarcales, elles s’évertuent à transmettre à leurs filles, nièces et petites-filles l’héritage culturel qu’elles ont elles-mêmes reçu et maudit durant leur union marital.

« C’est ce que j’ai fait, moi, durant toutes ces années. J’ai piétiné mes rêves pour mieux embrasser mes devoirs ». 

La mère de Ramla à sa fille, essayant de la convaincre d’accepter son sort et d’épouser l’homme choisi par la famille

Les Impatientes

Elles ont souffert sous les coups de leur époux, elles ont été forcées, baladées, trimballées, mariées et remariées, jamais avec leur consentement, et elles lèguent cela à leur tour. Pour la famille. Pour l’honneur. Pour la dignité. Les femmes ont de tout temps été complices du patriarcat et de la domination des hommes sur les institutions, les traditions et les Hommes.

Ce qui m’a marquée dans ce roman est la pression subtile et le chantage affectif exercés sur ces jeunes filles qui, en fin de compte, n’ont connu que leur village, leur cour, leur famille, et qui ont bien peu de chances de se rebeller ou d’être aidées.

Ramla, Hindou et Safira ont très peu de chances de s’en sortir indemnes car celles qui leur sont le plus proches, et qui incarnent tout pour elles, leurs mamans, sont complices de leurs bourreaux. Un cycle infernal qui n’aura de réelle fin que lorsque des mamans décideront d’y mettre un terme pour celles d’après.

Avant de démarrer ma lecture, je n’étais pas très emballée. Les Impatientes, ce roman victime de son succès et des multiples sorties médiatiques de son autrice, victime des petits bouts de lui que j’avais déjà glanés ici et là, des recommandations de lecture lues et entendues, vues et revues… J’avais peut-être trop d’attentes pour ce roman. Toujours est-il que je suis ressortie de cette lecture insatisfaite. J’ai trouvé bien peu de poésie, de voyage, et d’émotions dans ces lignes. Je l’ai trouvé léger et précipité. On survole les sentiments d’Hindou, ses blessures, et sa folie. On aperçoit la profondeur de la jalousie de Safira, mais trop peu de temps, trop peu de mots, pour apprécier l’étendue de la rage de cette première épouse délaissée. Tout le long, on court vers un dénouement deviné d’avance. Rien n’est surprise dans ce roman, que ce soit les souffrances endurées, les maris supportés ou les mamans et les tatas sagement écoutées.

Enfin, parce que c’est le premier article que je publie depuis trois ans (oui, trois ans déjà depuis mon dernier blogpost!), je dois dire que cela m’a manqué, d’écrire ce que je lis, et de partager ce que j’écris. C’est avec une infinie émotion que je me reconnecte au blogging, que je redécouvre Lettres Noires, et que je retombe amoureuse de ce lien entre vous, les livres et moi. Pourquoi ça m’a pris aussi longtemps? Pourquoi? Je reviendrai très vite vous le dire. Mais en attendant, c’est un réel plaisir de faire ce petit retour timide et j’ai hâte de vous lire, aussi.

A très bientôt,

Izuwa MA.