Salut la mif’, j’espère que vous vous portez bien depuis la dernière fois. Recommander des livres c’est bien, mais les noter serait encore mieux, qu’en pensez-vous? Pour cet article, j’ai choisi de me prêter au jeu de la notation de trois romans lus récemment.
Ils ont tous trois le rouge pour couverture, et abordent des thématiques qu’on lit avec un pincement au coeur: la famille, celle qui soutient et celle qui ne le fait pas; la maladie; la perte; la fatalité des destins écrits et le déterminisme des destins qu’on réécrit et que personne n’avait prédits. Ces trois oeuvres ont des étoiles pour notation et chacune à sa façon m’a plu, une plus que d’autres, mais toutes méritent d’être lues.
Le coeur battant de nos mères – Brit Benett
Dans une petite ville du sud de la Californie, le roman prend forme. L’inavouable, ce qui ne se dit pas mais se devine, s’y déroule. Nadia Turner vient de perdre sa mère, qui s’est donnée la mort d’une balle dans la tête. La communauté noire et protestante de l’église du Cénacle, pieuse, conservatrice, traditionnaliste et moralisatrice n’en revient pas: une des leurs a mis fin à ses jours. De façon inexpliquée et inexplicable, elle a choisi la voie la plus brutale et soudaine qui soit, en laissant un époux aimant éploré et une fille unique esseulée.
Passé le drame du suicide, les messes basses, et les premiers mois de deuil, chaque membre de la communauté se hâte vers le prochain scandale. Nadia et son père, eux, doivent retourner à un quotidien flingué, sans partenaire, sans mère, ni repère. Nadia tombe bien vite enceinte de Luke, fils du pasteur du Cénacle, et à peine plus âgé qu’elle. Ensemble, face à l’inextricable, ils iront vers la solution à leur disposition. La plus évidente, de prime abord, et la plus simple, penseront-ils.
« Une fille qui ne voulait pas d’enfant trouvait toujours un moyen de s’en débarasser. La meilleure solution, la solution chrétienne, c’était de lui faciliter les choses. Ce n’était pas une solution parfaite, mais dieu soit loué: le drame avait été évité. »
L’avortement de Nadia, tous frais payés par le pasteur et son épouse, n’est qu’un détail, au sein d’une communauté aussi hypocrite que sermonneuse, aussi décadente que passéiste.
« Des fois je me dis que… Elle s’interrompit. Si ma mère s’était débarrassée de moi, est-ce qu’elle serait toujours en vie? Peut-être qu’elle aurait été plus heureuse. Peut-être qu’elle aurait pu avoir une vraie vie. »
J’ai apprécié la complexité de chaque personnage, leurs pensées et leur personnalité, chacun portant un secret, une vérité inavouée, trop lourd pour son âge, trop lourd pour son âme. Cette complexité est si joliment racontée, emballée de tant d’émotions et de précautions, mais recouverte de déchirements. C’est un roman d’enfants devenus grands, vieillis trop vite, par la vie, par la mort, par le poids de la communauté et la distance émotionnelle des parents. Des gamins déjà finis. Nadia pense pouvoir s’en sortir. Socialement, mentalement. Mais ce qui est inachevé et enseveli finit toujours par rattraper. Même quand on le fuit. Surtout quand on le fuit. J’ai aimé lire ce roman, si doux et si dur à la fois. Dur par ce qu’il raconte, doux par comment il est raconté. J’ai aimé le storytelling, la voix des mères de la communauté et gardiennes du statu-quo.
Bien que je l’ai dévoré pour ce qu’il est, j’ai moins aimé me sentir tourner en rond. Je me languissais d’une action, d’un rebondissement, d’un changement. Il y avait dans « Le coeur battant de nos mères » une monotonie décrite et écrite. Une monotonie délibérée. Je l’aurais souhaité moins monotone, justement.
Si d’aimer – Hemley Boum
Si d’aimer, ou le roman d’un Cameroun pluriel, avec des personnages contemporains. Certains sont issus d’une classe bourgeoise, nouveaux riches du continent, et d’autres doivent se battre quotidiennement, pour ne rien avoir à la fin. Salomé, Valérie, Moussa et Céline n’ont (presque) rien en commun, à part le fait de vivre à Douala. Douala la belle, la rebelle, et sulfureuse. Pourtant, ils seront tragiquement liés par les épreuves de la Vie et la surprise de la maladie.
Salomé a tout pour elle, jeune femme riche et belle. Instruite, bien mariée et maman. Valérie est médecin, célibataire, sans enfant, parce qu’elle le veut, parce qu’elle se suffit, parce qu’elle n’y croit pas. Céline et Moussa quant à eux sont deux estropiés du quotidien, que la vie a « bastonnés », qui vont de galères en galères dans un Cameroun violent envers les mal-nés, les damnés de nos villes, qui vivotent entre débrouillardise, commerce au noir, prostitution, jardinage, gardiennage, et ménage. Ces deux-là font tout ce que les nantis, qui ne connaissent pas les affres de la saison des pluies, les bars et le bruit, eux, ne font pas.
Ces quatre personnages, si atypiques, uniques, sont tous enchaînés plus que liés, par la réalité de la maladie. ç’en est presque ironique. Le SIDA, syndrome des pauvres , des homos et des travailleuses du sexe*, semble ne pas faire de tri parmi ses victimes.
« On prétend que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. J’affirme que ce n’est pas vrai. Une fois blessé, on n’a plus le choix qu’entre saigner et cicatriser. […] Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fragile et plus vulnérable. La cicatrice reste, le souvenir de la douleur ne nous quitte jamais tout à fait.
Je ne me suis pas détachée de cette lecture. Ou très peu. Le Cameroun d’Hemley Boum est vrai, réel, palpable. On s’y retrouve, s’y attache, et on n’en ressort qu’à contre coeur, pour manger, se reposer, ou répondre à tout autre besoin primaire. J’ai fait avancer très vite quelques pages, quelques longueurs sur la maladie. Le traitement, les cas spécifiques, la charge virale, la prise en charge des malades, tous ces aspects plus mécaniques et pédagogiques ont été emmenés dans le roman sans finesse. Ces parties laborieuses à lire, débarquant comme un cheveu dans la soupe, n’ont néanmoins rien ôté au rendu global: Si d’aimer est un très beau roman, humain, dont la fin, qu’on l’aime ou pas, est à l’image des déconvenues avec le destin rencontrées par chaque protagoniste.
Les pêcheurs – Chigozie Obioma
En 1996, Akuré est une petite ville du Nigéria du général Abacha. Pour le pays, c’est l’année de la médaille d’or de football aux Jeux Olympiques d’Atlanta. C’est également une année de pauvreté accrue, de pénuries, de délestages en eau et électricité et de dévaluation du naira.
« J’ai entendu dire que lorsque la peur prend possession d’un coeur, la personne s’en trouve affaiblie. On aurait pu le dire de mon frère, car, lorsque la peur prit possession de son coeur, elle le dépouilla de bien des choses: sa sérennité, son équilibre, ses relations, sa santé, et même sa foi. »
La peur s’est installée dans le quotidien d’Ikenna, Boja, Obembé et Benjamin, inopinément, avec une force, et un tumulte qui bouleversera à jamais la vie des quatre jeunes gens, pas encore adolescents. Ils sont frères, Igbo, vivants à Akuré en pays Yoruba. Les quatre frères se rendent en l’absence de leurs parents au bord d’Omi-Ala, le fleuve interdit, pour y pêcher. Confiants et sereins, ils bravent l’interdit plus d’une fois. Au cours d’une énième partie de pêche, ils y croisèrent le « fou » de la ville, appelé Abulu.
Abulu est de ces hommes que l’on ne croise que dans nos contrées, dévêtus, le cheveu hirsute, le regard vitreux et la parole folle. On les déclare « fous », qualificatif dégradant et englobant, pour désigner des personnes instables, en détresse, perdues, accros à des substances ou à l’alcool. Abulu est un « fou », à la réputation de sorcier dont les malédictions et prédictions se réaliseraient toujours. Ce malheureux jour où Abulu croise les quatre frères, il prophétisa la mort sur Ikenna. Ikenna mourra. Et sera tué par un de ses frères.
De cette funeste prophétie découlera la fatalité du destin. Comment le conditionnement social et spirituel peut contraindre des frères solidaires, à penser l’impossible et l’irrémédiable. J’ai trouvé fascinant et frustrant comment la foi en ce qu’on ne voit pas et surtout en ce qui n’existe pas peut autant générer du positif (la religion et son exercice vertueux) que du négatif voire du dangereux par les croyances ancrées aux forces du Mal.
« Les Pêcheurs » est une lecture frustrante. La foi en ce qu’on ne voit pas peut nous construire comme nous détruire. Dans le cas d’Ikenna, Boja, Obembe et Benjamin, cette foi les aura détruit. J’ai aimé la poésie de la plume de Chigozie Obioma, le grand final, déchirant, la descente aux enfers, la description de cette cellule familiale si soudée et forte au début de l’oeuvre et qui périclite, vole en éclats, par la fatalité des mots proférés par… un fou!
La famille, j’espère que vous apprécierez ce type d’article qui synthétise plusieurs lectures en un seul. J’en ferai d’autre, c’est certain!
Merci d’être là, toujours.
Up to the next one!!!
* Selon la société camerounaise décrite par l’autrice