« L’innocente » est inspiré d’une histoire vraie. Cette mention est pour moi primordiale, car à partir de la… 22ème page, la seule question que vous aurez à l’esprit sera « Comment une personne, qui plus est, une enfant (puis adolescente), peut-elle survivre à tant de malheurs? ».L’innocente, c’est Elora Moussavou, petite fille de 10 ans au début de l’histoire, qui vit une enfance joyeuse et insouciante à Oyem, au Gabon, entourée de son père, sa mère, ses frères, sœurs, et cousins.
Tout aurait pu être rose … mais une sinistre révélation sur son père vient bouleverser le quotidien de la petite Elora. Très vite, elle se retrouve à l’autre bout du pays, avec pour tuteurs son oncle maternel et sa femme, qui lui feront subir toutes sortes de sévices physiques et psychologiques. Maltraitée, malmenée, réduite à moins que rien, loin de sa famille disloquée, Elora connaîtra des blessures à l’âme et à la chair, que seule la présence de Zéphirin et Naguy, ses compagnons d’infortune, viendra panser. Ils apparaîtront vite comme ses anges protecteurs, ses seuls alliés, et la seule famille qu’il lui reste.
L’innocente, c’est l’histoire d’une chrysalide devenue papillon, sans vraiment l’avoir voulu, et qui n’aura pas eu le temps de s’apercevoir de sa force et sa beauté incroyables, car empêtrée dans des drames familiaux auxquels une enfant n’aurait jamais dû être mêlée. Ces drames familiaux, je vais tenter de revenir dessus sans en dire trop afin de ne pas révéler le dénouement de l’histoire. ATTENTION SPOILER!!!
Le premier drame auquel Elora est confrontée, et qui lui ôtera son âme d’enfant, est celui des crimes rituels, ces sacrifices humains, auxquels s’adonne son père. Tout africain sait que c’est une réalité de chez nous qui fait des ravages, que l’on soit du Gabon ou de Tanzanie, de Côte d’Ivoire ou du Congo. Ces crimes, commandités par des personnes appartenant à des groupes occultes, des sectes, consistent à retirer des organes et du sang humains, afin de fournir des marabouts, des charlatans, qui promettent en retour monts et merveilles.
« Ne sors pas tout seul, même si c’est pour aller à l’épicerie du coin », « attends-moi à la sortie de l’école », « Ne suis pas un inconnu même s’il assure te connaître », « ne monte pas dans la voiture d’un inconnu »… c’est le type de conseils que tout parent prodigue. Les enfants sont sensibilisés très tôt à ces crimes, et peuvent ainsi éviter certaines mésaventures.
Mais que dit-on à une enfant, lorsque le danger vient de son propre père ?
Les malheurs d’Elora, qui sont à mille lieux de ceux rencontrés par Sophie de la Comtesse de Ségur, nous font également entrevoir les obscures profondeurs de l’esprit humain, et la réalité de la maltraitance infantile en Afrique. Combien d’enfants, à travers le continent, sont exploités, privés de leur innocence, et travaillent pour un oncle, une tante, une marâtre ? Combien d’enfants sont privés de repas, roués de coups, malmenés, sous des prétextes captieux, qui n’ont pour seul objectif que de justifier l’injustifiable?
« Connaissez-vous des personnes méchantes ? Je ne parle pas de sévérité. Je ne parle pas d’éducation rigoureuse. Je parle de cruauté pure […]»
– Extrait du roman L’innocente
Cette cruauté, Elora l’aura côtoyée et endurée au quotidien, et ce pendant sept ans. Sept longues années à survivre loin de sa famille, sa mère, ses sœurs, ses frères, dans une maison où elle est plus esclave qu’enfant.
Ci-dessous, un reportage (audio) de RFI (16/04/2015) sur les « vidomégons », ces « enfants placés » en français, qui traduit une pratique séculaire au Bénin, consistant à placer dans une famille un enfant, au sein de laquelle il subit, la plupart du temps, de mauvais traitements. Ce reportage, à mon avis, fait écho à la poignante histoire d’Elora, qui n’est en fin de compte, que le récit d’une énième enfance volée, de la pire des façons.
http://www.rfi.fr/emission/20150416-benin-esclavage-enfants-passerelle
Ce roman m’aura fait sourire parfois, et pleurer souvent. Il est émouvant, touchant, et ne peut laisser quiconque indifférent. De la découverte de la véritable nature de son père, au calvaire vécu chez son oncle, Elora aura appris de la pire des façons à grandir. On la voit pleurer, rire, tenter d’en finir avec sa vie, retrouver espoir, et connaître ses premiers émois amoureux. Tout le long on suit son évolution, en ne souhaitant qu’une seule chose : qu’elle ait ENFIN un peu de répit !
Le seul bémol pour moi est l’utilisation récurrente du registre familier, et du langage argotique gabonais, infantilisant davantage le texte, qui l’était déjà suffisamment (je trouve) par sa très jeune héroïne et narratrice.
Mais sans surprise, c’est un roman que je recommande. Âmes sensibles… préparez vos mouchoirs 🙂 !!!
L’innocente
Chrystel Zohi Ngambeket
La Doxa
399 pages