[Gabon] Ma mère se cachait pour pleurer – Peter Stephen Assaghle


Il est 02h54 du matin et je viens de refermer l’application Kindle Cloud Reader de mon téléphone assez bouleversée. Moi qui me targue souvent de deviner à l’avance le dénouement d’une intrigue, d’un polar, d’une histoire, j’ai été surprise, par une fin inattendue.

J’ai pensé tous les scénarii possibles, sauf celui que l’auteur, Peter Stephen Assaghle, nous a déroulé avec beaucoup de brio. La révélation finale, la révélation de trop, m’a rendue avide d’informations, avide de réponses, avide d’explications, de cette mère qui se cachait pour pleurer. Mais que pleurait-t-elle exactement ? Pleurait-elle de honte, de remords à peine avoués, l’échec de son mariage, sa vie ? Que cachent ses torrents de larmes ? J’avais un océan de questions à poser à cette mère, qui sont toutes mortes, d’une mort précoce, par un mot de 3 lettres : FIN. L’auteur apporte un point final magistral à cette histoire qui laisserait tout lecteur un peu frustré.

Ma mère se cachait pour pleurer, c’est bien plus qu’une histoire d’amour entre Fam et Rita. C’est un drame familial autour de Fam et Rita. Je dirai même que c’est un drame familial provoqué par cet amour pur et sincère. L’histoire, racontée par Fam, se déroule à Port-Gentil, capitale économique du Gabon, où il est en classe de 1ère, vivant entouré de ses parents, sa sœur et son petit frère. Tout commence, et tout finit, lorsqu’il tombe amoureux de Rita, sa voisine aux formes affriolantes et à la réputation sulfureuse, qui l’invita à partager sa couche, devançant ainsi tous les désirs et fantasmes de l’adolescent. De cette première nuit à deux naîtra le fil conducteur de ce roman, qui déliera de façon inespérée des nœuds vieux de plusieurs décennies.

ATTENTION SPOILER. 

Je n’aime pas m’avancer plus que nécessaire dans mes résumés, ou mes avis, afin de ne pas gâcher le plaisir de ceux qui comptent découvrir les lectures que je propose. Mais pour cette fois, je ferai une entorse à la règle.

Dans ce roman, il y a une telle palette de sentiments, de comportements humains, et de thématiques, que je me sens obligée de revenir sur ceux m’ayant le plus marquée.

Tout d’abord, le viol, et pire que tout, l’inceste, d’un père que subit sa fille, Rita. Il n’est plus question ici de dire à quel point l’inceste est mal. Non. Cela nous le savons tous. Mais plutôt à quel point la victime peut se sentir désorientée, abimée, salie… un corps vidé de toute Vie. Rita est comme morte à l’intérieur, et celui qui la ramène à la vie, qui lui redonne vie, c’est Fam. Par son amour, sa confiance, ses attentions, son dévouement, et son acceptation du passé de Rita, on se rend compte à quel point la vie d’une femme peut être détruite par un homme… et reconstruite, pierre par pierre, par un autre. Leur relation naissante a été la rose qui a réussi à prendre racine au milieu du terrain marécageux qu’était leur quotidien morne.

La révélation de Rita quant à son violeur de géniteur s’est faite poignante, touchante, mais ce qui a exacerbé ces émotions en moi, c’est la crainte qui habitait l’adolescente en dévoilant son lourd secret. La crainte d‘être jugée, la crainte d’être rejetée, la crainte de dégoûter l’être aimé, de se montrer telle qu’elle est vraiment, c’est-à-dire un peu amortie, marquée par les épreuves endurées. J’ai trouvé cela incroyable. Incroyable comment une femme, même étant une victime, même n’ayant rien demandé quant à sa condition, peut encore s’inquiéter du sort de son bourreau, du qu’en dira-t-on et de si son compagnon l’acceptera avec son passé de victime. Comme si son esprit n’était pas déjà assez tourmenté comme cela !

Le tourbillon de doutes dont Rita est la proie démontre à quel point cette société est malade et révoltante. On peut tout pardonner à un homme, (il n’y a qu’à voir l’admiration quasi intacte des français envers Bertrand Cantat, pourtant bourreau et meurtrier de sa femme Marie Trintignant), mais une femme devra toujours se justifier de tout… Même de n’avoir rien fait. Même d’avoir été une victime, tout le long de sa vie.

Extrait de la lettre de Rita à Fam.

« C’est en me faisant violence que je me suis éloignée de toi, afin d’éviter de te retrouver confronté à la monstruosité de mon père. Moi, j’ai appris à vivre avec. Elle fait partie intégrante de ma vie, comme la cécité fait partie de celle de l’aveugle et la nuit, de celle du jour ? Mais j’ai peur Fam, tellement peur de ta réaction que mon cœur en saigne. J’ai peur que tu ne me regardes plus de ces yeux qui ne voyaient que moi et qui m’érigeaient au-dessus de toutes merveilles. J’ai peur que tu sois dégouté d’avoir fait l’amour avec moi. J’ai peur que tu regrettes de m’aimer. J’ai peur, Fam. […] Si ces révélations te font me détester, je te comprendrais sans condition. »

En ces temps, et en tout temps, il est bon d’être un homme, malheureusement.

Ensuite le deuxième aspect de ce roman que je tiens à aborder c’est le pardon. Le pardon, comme un homme, peut détruire, comme il peut bâtir. La mère de Fam se cachait pour pleurer, non pas à cause des infidélités de son mari, mais à cause du poids du pardon sur ses épaules.  Je m’explique.

Bijou a commis une faute somme toute irréparable envers sa sœur, et a ensuite pris la fuite sans jamais se retourner. En plus, face à sa sœur, elle a joué la carte de l’indifférence et même de l’animosité. Elle ne s’est jamais excusée pourtant elle a eu plusieurs années pour y penser et le faire. Est-ce par honte, fierté, ou mauvaise foi ? Est-ce parce qu’elle n’arrive pas elle-même à se pardonner, et ne voit donc pas comment sa petite sœur pourrait le faire en retour ? Ma foi en l’humanité m’emmène à opter pour la deuxième possibilité.

Pour moi, Bijou croule sous le poids des remords, des souvenirs… or la première chose pour avancer c’est d’apprendre à se pardonner. Il n’y a rien de pire qu’un secret qui nous emprisonne, et une erreur passée qui nous enchaîne, nous tourmente, parce que l’on se demande « Qui étais-je lorsque j’ai posé cet acte ? Qui étais-je ? ».

Lorsque l’on faute, on s’en veut beaucoup plus longtemps, et avec beaucoup plus de hargne, qu’on en veut aux autres. En tout cas c’est comme cela que je fonctionne… et c’est peut-être la raison pour laquelle j’ai cette interprétation-là du roman et des larmes de Bijou.

Enfin, ce livre insuffle de l’espoir et du réconfort parce qu’on se retrouve dans un Gabon qui n’est pas parfait, certes, mais où certaines institutions semblent marcher droit. Les policiers sont à l’écoute, disponibles, presque professionnels et n’attendent pas un quelconque pot-de-vin pour accomplir leur devoir. Rita est reçue à l’hôpital et des soins complets lui sont administrés bien avant que les frais d’hospitalisation ne soient réglés, ce qui change des pathétiques histoires autour des hôpitaux (mouroirs ?) gabonais, où le maître mot est « Payer avant d’être soigné ».

En dépit de l’infirmière qui reste très conforme à la réalité, c’est-à-dire peu agréable, expéditive, et nonchalante, je trouve que dans ce roman le milieu hospitalier gabonais fait presque rêver (et j’ironise à peine !) Aussi, pour poursuivre dans le registre des institutions qui fonctionnent bien dans Ma mère se cachait pour pleurer, je me dois de relever le fait que Fam et Rita aient connu toute une année scolaire sans l’ombre d’une grève du corps professoral. Parce que oui, aujourd’hui au Gabon, une scolarité sans grève est devenue aussi rare qu’une pluie diluvienne en plein Kalahari!

En fait, ça m’a fait plaisir de lire un Gabon où l’Etat semble à peu près remplir ses fonctions régaliennes, ce qui, malheureusement, en 2018, est devenue utopique. Utopique parce que la police, la santé, l’éducation nationale, tous ces fondamentaux, valent beaucoup moins que stocks options et mallettes de billets aux yeux de ceux qui dirigent divisent mon pays.

Pour conclure, et parce que la perfection n’est pas de ce monde, je dois avouer que j’ai très peu apprécié certains passages sans tabou, presque libertins, décrivant des scènes intimes et intimistes avec moult détails. L’écriture voyeuriste et désinhibée m’a toujours dérangée car elle laisse peu de place à l’imagination du lecteur et l’oblige à se poser en 3ème partie de moments très (trop) charnels. Lecteurs pudiques… Je vous aurai prévenus !

Auteur: Peter Stephen Assaghle

Edition: La Doxa

180 pages

Du même auteur:

  • Pandemonium
  • Le jardin du voyage
  • Dites au roi d’aller au diable

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