“Ma mère me disait toujours qu’il est bon de terminer ce qu’on doit faire avant le départ du soleil; ainsi, son départ n’est pas la fin de la journée mais le commencement de la nuit.” Kayo – Notre Quelque Part
Au milieu des effluves de vin de palme, de vieux tabac et de viande de brousse grillée, les habitants du village de Sonokrom se réveillèrent ce matin-là avec un tout nouveau parfum, narguant leurs narines. Le parfum du mystère, du changement, et surtout celui de la mort. Dans ce petit village à l’Ouest du Ghana, Koffi Atta le cultivateur de cacao a disparu. Dans sa case de terre cuite, il n’a laissé que l’ombre d’un oiseau aux plumes bleues, et un « bout de quelque chose » à l’aspect placentaire. Ce « bout de quelque chose » à la puanteur morbide aura d’ailleurs vite fait d’attirer des nez et des yeux indiscrets. Ni une, ni deux, les villageois de Sonokrom deviennent témoins oculaires d’une probable scène de crime. Quelle est donc cette « chose » retrouvée dans la case de Koffi Atta ? Où est passé le cultivateur ? Si crime il y a, quel en est le mobile ? Est-ce un homicide à des fins ritualistes, une vengeance entre voisins ou un malheureux accident ? Ce fragment anatomique appartient-il à Koffi Atta, ou la victime serait-elle une toute autre personne ? Lorsque la police judiciaire fraîchement débarquée d’Accra, la capitale, arrive sur les lieux, elle y trouve bien plus de questions, que de réponses. Les villageois, témoins silencieux, presque flegmatiques, sont tous sûrs d’une chose : « tout était normal, ils n’ont rien vu, rien entendu ».
Kayo, personnage principal de ce roman, est un jeune médecin légiste en reconversion professionnelle faute d’opportunités en médecine légale. Il est alors dépêché manu militari d’Accra, en renfort à la police nationale. Arrivé à Sonokrom, devant la case de Koffi Atta, il entreprit les premières analyses sur la « chose » retrouvée. Il apparaît bien vite que cette affaire ne sera pas que judiciaire.
Dès les premières messes basses avec le marabout, dès les premiers échanges avec Yao Poku, le vieux chasseur aux mille histoires mystérieuses, Kayo comprit que seule sa science ne pourrait l’aider à résoudre cette énigme
Nii Ayikwei Parkes est un écrivain-poète, ghanéen et britannique. Il nous propose avec « Notre quelque part » un genre tout à fait nouveau: un roman hybride au dénouement bizarroïde (sourire). « Notre quelque part » est une sorte de conte-policier. C’est une véritable enquête policière, cousue au fil de la spiritualité et de l’oralité propres aux sociétés traditionnelles africaines. Ce conte-policier s’articule aussi autour d’artefacts, de légendes locales, de bruits dans la nuit, de la forêt de bambous qui flirtent avec les nuages et des sons de l’orgue… D’ailleurs, ce sont surtout ces sons de l’orgue qui auront raison des barrières scientifiques du jeune médecin légiste.Il ne s’agira plus seulement pour Kayo de résoudre une affaire qui ameute le tout-Accra… Il s’agira également de *renouer avec une partie de lui oubliée*.
En cette période trouble, avec la propagation du Coronavirus et la crise économique qui en résulte, j’ai trouvé ce roman bienvenu. Bienvenu parce qu’inattendu. Bienvenu parce que surprenant, rafraîchissant, prenant et subtilement drôle. Il faut dire aussi que j’entretiens un attachement particulier avec le Ghana, qui fait que tout le long de ma lecture, je retrouvais des mots, des expressions, des plats et tous ces petits « rien » qui m’ont fait sourire, un brin nostalgique.
J’ai néanmoins été agacée par le niveau de langue lorsque l’histoire était contée par le vieux Yao Poku, ramenant le lecteur à un pidgin difficilement traduit. « J’aurais dû lire ce roman en anglais » me suis-je dit maintes fois. Lire Notre quelque part en anglais aurait rendu ma lecture moins laborieuse à certains passages, quand Kayo plaisante avec son groupe d’amis, ou quand les villageois s’expriment. La traduction nous met face à un français caricatural, façon « Y’a bon banania », qui à mon avis ne retranscrit pas les subtilités du pidgin ghanéen. Ces passages étaient insupportables à lire.
Il faut dire que nos langues hybrides, créoles, pidgin, camfranglais et nouchi*sont surtout orales. Elles s’accompagnent d’un accent, une intonation et une gestuelle particuliers. Une fois couchées sur papier, lues banalement au détour d’une page, et bien ces langues perdent de leur saveur et authenticité.
« Tu aimes trop travailler ! Et pour ma chérie… j’ai resté au lit avec la go dépuis le matin jusqu’au soir, et jé n’a pas vu toi jamais ooo. » Notre Quelque Part, p. 71
Insupportable, je vous disais.
Heureusement, la traduction a malgré tout laissé intactes des expressions du quotidien, typiquement ghanéennes, telles que Chaley** et Trotro***.
Au détour d’une page, kenkey, kelewele, jollof rice et shitoh**** viendront rappeler à vos papilles gustatives que c’est bien là un petit délice de littérature moderne ghanéenne que vous tenez entre vos mains.
Je me suis délectée, le temps d’une journée, de ce voyage mérité bien qu’étant confinée ! Dépaysement garanti !
Merci de m’avoir lu. Merci d’être là.
Izuwa.
* Créoles, Pidgin, Camfranglais, Nouchi : Langues populaires caribéennes et africaines, formant un incroyable mélange d’argot, de langues autochtones et de langues coloniales (anglais et français).
** Chaley : Expression utilisée comme une onomatopée, exprimant selon le contexte le désappointement, la sympathie, la surprise. Elle est aussi utilisée pour interpeler quelqu’un ou dire « allons-y ».
*** Trotro : Mini bus populaires au Ghana, servant de transport en commun rapides et peu chers
**** Kenkey, Kelewele, Jollof rice et Shitoh: Divers plats ghanéens, boules de maïs fermentées, bananes plantains frites, riz sauté et sauce tomate épaisse avec petites crevettes fumées.