La RD Congo (ancien Zaïre), avec ses 2,345 millions m² de superficie, sa faune, sa flore et son sous-sol riche en minerais, a toujours été victime de ses atouts.
Le régime sans partage du président Mobutu, qui a davantage renfloué ses caisses que celles de l’Etat, a laissé une grande partie de sa population dans la précarité. Et la rébellion menée par Laurent Désiré Kabila n’a rien arrangé. Le poumon de l’Afrique, par son immense forêt équatoriale, s’est transformé en poudrière avec l’accession au pouvoir de cet ex-chef de rebelles.
Le prix à payer pour renverser Mobutu était très élevé: ouvrir les frontières (déjà poreuses) du pays aux milices, dont une majorité de Hutus du Rwanda voisin, qui pour beaucoup ont participé au génocide de 1994. D’autres miliciens viennent de l’Ouganda, de la Tanzanie, les armes et les financements arrivent d’Occident… Et tout cela pour aider à asseoir la victoire de Kabila-père. Au final, tout le monde voulait un petit bout du Zaïre. A tout prix. Même celui de millions d’innocents.
Vous connaissez tous l’adage « On sait ce que l’on perd mais pas ce que l’on gagne »? Eh bien, il n’y a rien de plus vrai! Le Congo a perdu Mobutu et a gagné Kabila, qui n’était pas venu seul…
Son arrivée au pouvoir a coïncidé avec une pratique barbare prisée par les miliciens: l’utilisation du viol comme arme de guerre.
Le docteur Denis Mukwege, gynécologue obstétricien,a décidé depuis ces années noires de la RD Congo de mener un combat à vie, un combat pour la vie. Il s’est spécialisé dans le soin des femmes victimes de violences sexuelles, et la chirurgie réparatrice dont elles ont toutes cruellement besoin. Ces violences ne se limitent pas à notre perception « basique », et universelle du viol (acte sexuel forcé, non consentant). Non. Le viol est la stratégie de guerre de plusieurs groupes armés et organisés afin de déstabiliser la société congolaise, et plus précisément les populations du Kivu. Le Kivu qui est d’ailleurs la région la plus riche en minerais de la RDC (comme par hasard… la région la plus riche est la plus perturbée… je vous laisse tirer les conclusions qui s’imposent).
Aussi, il ne s’agit pas seulement de viols, mais de la destruction (parfois définitive) de l’appareil génital de la femme: insertion d’acides corrosifs dans le bas ventre, insertion d’objets tranchants, rugueux (branches de bois, canons de fusils), viols collectifs répétés, tirs de fusil en visant directement l’appareil génital. L’objectif pour eux n’est pas de tuer, mais bien de détruire, déstabiliser, semer la crainte, et réduire les femmes, et par ricochet toute leur famille plus bas que terre. L’objectif est de s’attaquer à la société congolaise, la ruiner, par son socle, son essence: la femme.
« J’étais devenu, malgré moi, expert d’un certain type de lésions – le traumatisme des organes génitaux provoqué par certaines armes. » Denis Mukwege
Depuis la création de son hôpital, l’hôpital de Panzi, en 1999, d’où il exerce, le docteur Mukwege y a soigné, réparé, plusieurs milliers de femmes victimes de ces atrocités.
Dans ce livre, autobiographique, il nous raconte avec un réalisme, un pragmatisme fous, son incroyable parcours, sa vocation de médecin, son travail à l’hôpital de Panzi, la cause des femmes, son expérience de la violence et de la guerre dans le Kivu.
Mais par dessus tout, il nous raconte, sans langue de bois, le silence HONTEUX des autorités congolaises face à la guerre au Kivu et les violences faites aux femmes. A Kinshasa (capitale de la RD Congo), les gouvernements se succèdent, mais le bien-être des populations et leur sécurité restent le cadet de leurs soucis!
Il y a d’ailleurs un détachement inhumain de ce gouvernement, et du président actuel Joseph Kabila (fils du précédent président-rebelle Laurent Désiré Kabila) face à la guerre au Kivu et le sort réservé aux femmes.
Dans le livre, il y a ce passage choquant où Denis Mukwege parle de la première visite de J. Kabila à l’hôpital de Panzi, après l’explosion d’un camion citerne.
« J. Kabila: – Vous savez pourquoi je suis venu, n’est-ce-pas?
D. Mukwege: – Oui, bien sûr.
– Pourquoi suis-je ici? demande-t-il, comme pour me tester.
– Vous souhaitez rencontrer les survivants de l’accident du camion-citerne.
– C’est exact, dit-il, sur un ton condescendant. Ce n’est pas pour rencontrer les femmes qui ont été victimes de violences sexuelles que j’ai fait ce déplacement. »
Oui, l’Etat n’a jamais rien fait pour résoudre cette crise… et clairement, ne compte RIEN faire.
Alors ce médecin au grand coeur, qui a pris cause et partie pour les femmes du Kivu, ces victimes oubliées d’un génocide caché, n’a pas d’autres choix que de poursuivre le combat… sans l’aide de son propre pays.
Victime à plusieurs reprises de « représailles », il a été attaqué dans sa résidence de Bukavu (ville du Kivu) par des hommes armés (causant la mort d’un de ses proches). Son hôpital a également été la cible de tirs, et d’une explosion! Mais malgré tout cela, ces risques que sa famille et lui connaissent bien maintenant, il continue d’exercer dans son pays, dans sa région natale, au service des plus démunies, et des oubliées de la Nation.
Cette autobiographie a été une source continuelle de mini-révoltes en moi. Mais je ne sais pas quel sentiment est le plus fort, alors que je tourne la dernière page de ce livre. La révolte… ou l’impuissance? L’impuissance face à la douleur des familles, le drame de la guerre, le silence de la communauté internationale, la spoliation des matières premières, l’indifférence du gouvernement congolais… Que faire face à tous ces drames, qui se déroulent à quelques kilomètres de chez moi? Que faire à mon tout petit niveau, pour aider ces femmes qui ont besoin de soin, mais aussi besoin de reprendre goût à la vie après de tels traumatismes?
Si, à la fin de cet article, vous vous posez les mêmes questions… vous pouvez par exemple faire un don à l’hôpital de Panzi, en cliquant ici.
Et si vous avez d’autres options à me proposer, n’hésitez pas à me les laisser en commentaire.
Cette autobiographie, aussi poignante qu’inspirante, ne laisserait personne de marbre. C’était mon coup de coeur du mois de mars.
Plaidoyer pour la vie – Denis MUKWEGE
Editions L’Archipel 2016
264 pages
21€