
Quand j’ai eu le livre de Sami TCHAK entre les mains, lui, écrivain et sociologue togolais, devenu incontournable de la littérature contemporaine des Afriques, j’ai soupiré de dépit. Oui, de dépit.
En lisant le titre « Ainsi parlait mon père », je me suis dit « Encore un roman dont le narrateur sera un enfant qui apprend à grandir, ou un grand-enfant qui n’a pas encore réussi à panser ses blessures d’antan ». Je me suis dit, surtout, encore une œuvre africaine qui infantilise le roman.
Quelle méprise ! Quelle méprise. Rien ne m’avait préparée à ce que je tombe, au final, sous le charme de ce livre assez surprenant, sur lequel on a du mal à mettre une étiquette. Sur lequel on n’a même pas besoin de mettre une étiquette. Pendant les… 25 premières pages, j’ai cru que « Ainsi parlait mon père » était une autobiographie, mais j’ai vite été surprise, au fil de ma lecture, de trouver 600 (belles) maximes. Exit Zarathustra*, ici, c’est le père de Sami Tchak qui a la parole. Ces maximes n’ont pas de thématiques précises, elles sont parfois drôles, et très souvent philosophiques. La vie, la mort, les Hommes, le règne animal, l’absurde, le moins absurde, tout y passe, tout trouve un sens à travers les mots de son père (et les siens).
De la partie autobiographique de ce livre, je garde en mémoire l’extrême sincérité de l’auteur. Comme s’il ne voulait rien garder pour lui. Comme s’il se fichait de ne rien garder pour lui. Il nous raconte son enfance, ses parents infirmes, qui se sont trouvés plus qu’ils ne se sont cherchés, le foyer polygame de son père et l’étrangeté de son lien avec sa mère. Dans une société où la relation mère-enfant est idéalisée, béatifiée, il y a un Sami Tchak qui écrit, froidement, qu’il n’a pas été bouleversé par le décès de sa mère… et que quelque part, il n’a jamais su l’aimer.
« Mon attitude s’expliquait : je n’aimais pas ma mère. Même conscient qu’elle pouvait succomber à sa plaie dont l’évolution était maintenant assez inquiétante, je n’étais pas perturbé. Au contraire… »
Il a osé, là où beaucoup d’autres auraient juste glissé ces vérités sous un tapis. Il a osé, parce que ces sentiments développés encore enfant, ce sont envolés avec le temps, pour ne laisser place qu’à de la nostalgie, de la mélancolie, face au souvenir d’une mère mal-aimée.
Au-delà de cette relation très spéciale avec sa mère, il a néanmoins pu développer une relation forte, une relation belle, avec son père.
16. « D’un enfant, nous devons apprendre plus que nous ne pouvons lui enseigner, puisqu’il porte en lui le monde que nous n’aurons pas le temps de vivre, alors que lui a la possibilité de connaître l’essentiel de ce qui existait avant lui. »
Son père, forgeron, lui a appris très jeune à passer au tamis toutes ses paroles, tous les conseils qu’il lui prodiguait, afin de ne conserver que le meilleur de lui. Le meilleur de son père, c’est bien ce que nous lecteurs nous gardons à la fin de ce livre: des sagesses qui se lisent, se relisent, indéfiniment.
« Les paroles essentielles appartiennent à chacun de nous […] c’est pourquoi nos paroles qui ont du sens sont universelles »… et celles du père de Sami Tchak le sont. Universelles.
Par contre ces 600 maximes, pour qu’elles ne vous donnent pas le tournis, ou l’impression de parcourir le Livre des Proverbes de La Bible (j’exagère à peine 🙂 ), je vous déconseille de les lire avec précipitation, ou en une seule fois, comme on lirait, justement, un roman. J’ai lu ce livre en 2 jours, et je l’ai regretté. J’aurais dû prendre le temps de digérer chaque partie. Le voyage dans la vieille forge du père de l’auteur, quelque part en pays Tem**, n’aurait été que plus agréable.

Ah ! J’oubliais presque. J’ai eu la chance de rencontrer Sami Tchak le 10 juillet dernier, dans le cadre d’une Palabre autour des arts*** avec pour thème « Tradition à déconstruire VS Transmission à reconstruire ». Cela a été un réel plaisir d’échanger, même brièvement, avec un auteur dont l’œuvre est, peut-être malgré lui, profondément engagée dans la déconstruction de coutumes rétrogrades. Et dont les écrits sonnent comme la transmission de toute la sagesse, toute la sagacité de son père, aux milliers de personnes qui auront l’opportunité de le lire.
* « Ainsi parlait Zarathustra » poème philosophique de Nietzsche, dont le titre rappelle celui de l’œuvre de Sami Tchak
** Pays Tem: Région du Nord du Togo, d’où est originaire l’auteur
*** Palabre autour des arts : rencontre littéraire, initiée par le critique et écrivain Joss Doszen
Editions JC Lattès, 2018
268 pages
17€
Où vous le procurer :
https://www.amazon.fr/Ainsi-parlait-p%C3%A8re-Sami-Tchak/dp/2709661829
Du même auteur :
Place des Fêtes, Gallimard, Continents noirs, 2001
Hermina, Gallimard, Continents noirs, 2003
La Fête des masques, Gallimard, Continents noirs, 2004
Le paradis des chiots, Mercure de France, 2006
Filles de Mexico, Mercure de France, 2008
Al Capone le Malien, Mercure de France, 2011
La Couleur de l’écrivain, La Cheminante, 2014