[Jamaïque] Si le soleil se dérobe – Nicole Dennis-Benn


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Patsy rêve de New-York. Chacun de ses rêves, chacune de ses aspirations, sont nourris par les films qu’elle regarde, les récits d’immigrés jamaïcains qui y ont réussit et qui ont une meilleure vie. Mais Patsy ne rêve pas seulement de New-York. Elle rêve aussi de Cicely.

En résumé

Patsy vit à Pennyfield où elle est née, où elle a grandit et où sa mère a elle-même grandit. Pennyfield est un quartier populaire de Kingston. On dit souvent quartier populaire pour ne pas stigmatiser, mais en réalité, c’est un terme fourre-tout utilisé pour parler de quartiers dangereux, aux habitations délabrées, en matériaux recyclés, en ruines, dont la population a le choix entre oisiveté, travail ingrat et banditisme. Il y a bien peu de perspectives à Kingston, surtout quand on vient de Pennyfield et qu’on n’a pas pu aller au bout de ses études universitaires. Surtout quand on est noire (comprendre ici noire et non métisse), avec des formes généreuses.

Patsy enfile toujours ses vêtements dans le noir, car elle évite de se regarder dans les miroirs, généralement mécontente de ce qu’elle y aperçoit: un visage rond et plat ordinaire, un nez large, des lèvres pleines et boudeuses qui lui donnent l’air d’un enfant déçu d’avoir perdu son jouet préféré, malgré les fossettes qui creusent en permanence ses joues.

Patsy a une petite fille qu’elle a eu trop jeune, avec un homme qu’elle n’a jamais pu aimer. Dans la réalité de Pennyfield, Patsy se cherche et ne se retrouve pas. Son travail, la proximité avec sa mère démissionnaire, la présence de sa fille… rien ne l’aide à s’aimer, à s’épanouir. Tous ses espoirs d’avoir enfin un but, un idéal, d’avoir une meilleure vie, une vie à elle, réside en l’obtention d’un visa touristique pour les Etats-Unis.

Ce visa touristique est sa garantie vers une nouvelle vie auprès de Cicely. Cicely la nébuleuse, l’insaisissable, son amie d’enfance, sa confidente et correspondante dont elle est restée secrètement amoureuse, et qui a émigré à New-York depuis plusieurs années.

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Photo prise pour le Club de Lecture en ligne animé par @esprit_vagabond sur Instagram. Tous droits réservés lettres noires.com

Seulement, rejoindre Cicely, tenter de donner un sens à son existence, se fera au prix de sa fille. Entre les Etats-Unis et Trudy, Patsy a choisi les Etats-Unis. Elle confie alors Trudy à son père que la petite fille alors âgée de cinq ans n’a jamais vu. Patsy confie sa fille à un père qui n’a jamais voulu d’elle, qui a une autre famille, d’autres enfants, une autre femme.

S’en suit un roman magnifiquement bien écrit, entre Patsy et Trudy, entre Brooklyn et Kingston, entre anglais et créole.

Quelques mots sur l’autrice

Nicole Dennis-Benn est une autrice Jamaïcaine, née dans les années 80 à Kingston, où elle vécu jusqu’à ses 17 ans. Elle émigre aux Etats-Unis où elle poursuivra des études en santé reproductive des femmes. Elle n’est déterminée à se lancer dans l’écriture qu’en 2010 après un voyage en Jamaïque avec sa compagne. Faisant face aux inégalités, au tourisme de masse, et à la violence qui gangrène son île natale, elle déclarera plus tard: « Je me sentais comme si j’étais la seule lesbienne dans un pays où la police ferme les yeux sur la violence collective contre les homosexuels et les rapports sexuels entre hommes sont punis par la loi. »*

Elle publie son premier roman, Here comes the sun paru en français en 2021 sous le titre Rends-moi fière aux Éditions de l’Aube et traduit par Benoîte Dauvergne.

Si le soleil se dérobe est son second roman, publié en 2022 aux Éditions de l’Aube et traduit magistralement par Benoîte Dauvergne (encore!).

Mon avis non-sollicité

L’autrice peint une fresque sur plus de dix ans, avec pour grandes thématiques les relations mère-fille, l’homosexualité, l’exil et les réalités des sans-papiers sur un territoire où ils n’ont pas droit de cité. Les voix dans ce roman sont plurielles car on alterne entre le désenchantement de Patsy, ses déboires, son « american dream » devenu désespoir, et Tru qui apprend à vivre dans une famille où elle n’a pas sa place, où elle est esseulée, pièce rapportée d’un foyer, et enfant d’une mère partie il y a 2 ans, 5 ans, 10 ans… sans jamais envoyer une seule lettre. Ces deux voix si différentes donnent vie à ce roman traduit avec une rare justesse et font de ces 470 pages un plaisir, un voyage au cours duquel on ne compte pas les heures.

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Un roman dont on ne se lasse pas, et le meilleur carrot cake de l’univers.
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J’ai aimé ce roman autant que j’ai eu du mal à apprécier son personnage principal. Patsy choisit de suivre l’amour sans regarder en arrière, et sans se soucier de sa fille qui elle, n’a rien demandé. J’ai jugé Patsy, je n’ai aimé aucun de ses choix, et jusqu’à la dernière page, je me suis demandée comment Nicole Dennis-Benn a pu construire et donner vie à un personnage aussi détestable.

« Et la petite se mit à pleurer. Mais Patsy refusa, se sentit incapable de se lever pour la calmer. Puis, brusquement, les pleurs cessèrent. Patsy se rappelle le soulagement qu’elle ressentit aussitôt. Il lui sembla qu’une bouffée d’air frais emplissait ses poumons comprimés par cette lourdeur qui pesait sur elle depuis des mois. Mais son soulagement fut de courte durée. Le silence devint effrayant. […] Tru suçait silencieusement son pouce, les yeux levés vers sa mère qui éprouva soudain une pointe de remords. On aurait dit que l’enfant savait, avant même d’avoir commencé à vivre, qu’elle devrait se consoler elle-même. »

Patsy va vous pousser dans vos derniers retranchements par sa manière d’aborder les difficultés sur le chemin. Elle cumule plusieurs traits difficiles à lire en tant que lecteur: passive, auto-destructrice, ultra-émotive, c’est une femme qui se sabote elle-même. Patsy n’a pas grande considération pour ce que les autres ressentent, en dehors de Cicely. Elle n’hésite d’ailleurs pas à trahir une proche amie à elle (qui le prend étonnamment bien), rencontrée durant ses années de galère à Brooklyn.

Néanmoins, ce personnage aide à mettre en perspective le rôle de mère, l’interroge, le remet en question et rappelle qu’il existe autant de maternité, de relations mère-fille qu’il existe de femmes. Une femme n’est pas que mère, une femme ne naît pas nécessairement avec l’instinct maternel, et la fameuse horloge biologique n’est que théorique. En pratique, dans la vraie vie, les mamans, elles font juste ce qu’elles peuvent, et font parfois des choix. Ni bons, ni mauvais… juste des choix.

Sans vous raconter tout le livre, je n’ai pas accroché avec Patsy, bien que je recommande le roman. Il se lit aisément et les descriptions sont telles que je n’ai eu aucun mal à imaginer des villes, des quartiers, des restaurants, des mets, des parfums, des bâtisses, que je n’ai jamais vus ni sentis. C’est une très belle découverte, qui m’amène à vouloir lire le premier roman de la même plume. Je ne peux m’arrêter là, maintenant que j’en ai eu un aperçu.

Merci de m’avoir lu, et à bientôt. Peace!

*Source: Wikipédia

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