« Où je veux être où je veux être
Pas où je suis. »
Oui, Precious, afro-américaine de 16 ans seulement souhaiterait être partout ailleurs, sauf dans son corps, sauf dans sa vie.
Mère de deux enfants, dyslexique, et en surpoids, cette enfant qui fait des enfants nous raconte, à sa manière, ses déboires et quelques espoirs. Precious écrit donc son histoire comme elle parle et comme elle pense: en un flot de mots mal orthographiés, spontanés, crûs, et parfois incohérents.
Vivant avec sa mère démissionnaire, et au rythme des visites de son père incestueux, le Destin a accordé bien peu de chances à Precious de s’en sortir.
A 12 ans seulement elle tomba enceinte de son « père » puis à nouveau à 16 ans.
A cette seconde grossesse l’école primaire où elle apprend depuis toujours l’exclus. Cette énième mésaventure aurait pu être le début de la fin pour Precious mais cela a finalement été le début de la renaissance : elle est orientée vers une classe «d’alphabétisation ».
C’est grâce à ses cours d’alphabétisation qu’elle rencontrera Mme Avers, qui lui apprendra à former des lettres et des mots corrects, à déchiffrer des phrases entières et à s’exprimer. Elle lui fera découvrir le sens et double-sens des mots.
Mme Avers réussira donc là où tous les autres ont échoué, parents comme éducateurs. Elle apprendra à Precious la détermination, la persévérance, l’estime de soi, la poésie, la Vie.
Pour moi, cette histoire racontée par Precious est celle de milliers, voire de millions de personnes, laissées pour compte par la société. Ces personnes, invisibles et pourtant bien présentes, prouvent que le système éducatif et social n’aide pas toujours ceux qui en ont le plus besoin. Les indigents, les analphabètes, les orphelins, les personnes isolées (jeunes comme vieilles), battues, maltraitées, violées, la liste est longue… combien autour de nous vivent aujourd’hui en marginaux, parce que différents, ignorés ou maltraités ?
Comment leur venir en aide ? Comment mieux les aider? (Pour revenir dans le contexte du livre…) Comment une si jeune fille a-t-elle pu être enceinte à deux reprises (de son père!!!) sans que les services sociaux ne s’en préoccupent? Comment a-t-elle pu aller jusqu’au CM1/CM2 sans savoir lire et écrire un minimum?
Après lecture de ce petit roman, je suis arrivée à la conclusion que bien qu’écrit il y a des années de cela, il donne tout son sens au très récent mouvement Black Lives Matter. Ce petit roman rappelle que les afro-américains restent ghettoisés, déshumanisés, aux yeux de tous et dans l’indifférence la plus totale.
Il rappelle que les Noirs américains existent. Leur avis compte. Leur Vie compte. L’Etat (Américain) ne doit plus se contenter de les parquer dans des quartiers pour ensuite leur tourner le dos et les oublier. Ils méritent mieux. Ils aspirent à mieux.
P.S : Par contre, je tiens à le préciser, il s’agit de l’histoire de Precious, racontée par Precious, qui sait à peine lire et écrire. L’auteure et l’éditeur ont donc choisi un registre de langue très familier, mal orthographié, censé montrer le niveau d’éducation de Precious (choix contestable, certes, mais fait à raison selon moi car il permet de voir les évolutions de l’alphabétisation de Precious).
« Mme Avers montre une lette, me demande ce que c’est. Je dis A. Ame montre d’autes lettes. Je dis rien.
-Vous ne connaissez pas ce mot?
Ben non.
-Vous reconnaissez les lettres?
Ouais ouais. A me montre L pis A. A demande si je connais ce mot. Je le connais pas mais je dis que dalle. »
– Extrait raconté et écrit par Precious